idéesHistoireFPContenu payant

De persécutés à persécuteurs : l'exemple chrétien

Le christianisme n’est-il pas l’exemple historique chimiquement pur d’une petite minorité devenue majorité ? Revenons quelques siècles en arrière, dans les interstices de ce moment charnière où se sont cristallisées les premières lueurs de notre civilisation, aujourd’hui hantée par le spectre de la décadence.

/2023/03/chretiens-22


F.P. : Régis Debray dit qu’une religion établie est une secte qui a réussi. Partagez-vous cette vue et est-ce le cas du christianisme dans l’Empire romain du IVe siècle ?

Stéphane Ratti : Dans une lettre manuscrite (la main en dit beaucoup plus qu’un conventionnel courriel…) qu’il m’avait adressée il y a quelques années, Paul Veyne me disait la même chose du christianisme, sous la forme d’une formule rageusement griffonnée en travers de la page, comme pour conclure son développement. C’est le point de vue d’un agnostique. Je dirais plutôt, pour ma part, qu’une religion établie est une religion qui a réussi à une échelle pluriséculaire. Prenez le cas du manichéisme : c’est un bon exemple d’une religion véritable et non, à mon sens, d’une simple secte, qui n’a pas réussi. Mani (ou Manès) était un prophète du IIIe siècle qui parcourait l’Empire perse. Sa religion, qui est aussi une philosophie, passa ensuite en Afrique. La religion de Mani, le manichéisme, aurait pu réussir et même supplanter le christianisme. Mais l’empereur Dioclétien, sans doute en 302, promulgua un édit visant à l’interdire et à punir de mort ses sympathisants. Le manichéisme avait enregistré de nombreux adeptes en Palestine et à Rome, même au début du IVe siècle. Saint Augustin en fut un avant de s’en déprendre et de le combattre. Il contribua dans une large mesure, par ses écrits, à faire passer les manichéens pour des hérétiques. Plusieurs lois impériales finirent par interdire le mouvement qui connut de ce fait, entre 372 et 382, une répression accrue. Elle fut finalement éradiquée en Occident par l’Empire chrétien, sous le règne d’Honorius puis celui de Théodose II et, au Ve siècle en Afrique, elle avait disparu, sauf dans quelques réduits vandales.

Le manichéisme a échoué parce qu’il n’avait jamais songé, au rebours du christianisme, à s’allier...