Je n’ai jamais trouvé que je faisais bien ce que je faisais », déclarait Françoise Dolto en 1986, images d’archives exhumées par France Culture. Voilà qui a le mérite de l’honnêteté, mais qui explique d’autant moins sa curieuse hégémonie intellectuelle. Peu de magistères soutiennent la comparaison au XXe siècle. Si Françoise Dolto nous semble avoir sa place dans cet abécédaire, c’est précisément en raison de ce magistère. Dolto n’appartient pas à la génération 68, mais elle en est devenue paradoxalement l’un des symboles. Elle entre en psychanalyse en février 1934, au moment même où ses « amis » (Dolto est issue d’une famille maurrassienne) de l’Action française battent le pavé contre la République. Pas de fausse note puisqu’à la même époque, le père spirituel de la psychanalyse, Freud en personne, montre de la sympathie pour le régime austrofasciste du chancelier Dollfuss. Pas de quoi en faire un argument décisif, mais pas de quoi l’occulter non plus, ce d’autant plus qu’elle a rencontré deux ans auparavant, en 1932, René Laforgue, son psychanalyste, qui sera mis en cause par la Société psychanalytique de Paris à la Libération pour fait de collaboration. Laforgue a obtenu un non-lieu à son procès, peut-être au bénéfice du doute, mais l’historien de la psychanalyse Alain de Mijolla évoque (1) sa collaboration avec l’eugéniste Alexis Carrel et avec l’institut Göring qui se proposait à l’époque d’aryaniser la psychiatrie. L’année 1938 est celle de la rencontre de Françoise Dolto avec Jacques Lacan, dont elle suivra l’enseignement. Élisabeth Roudinesco considère d’ailleurs que Lacan et Dolto ont fait « figure de couple parental pour des générations de psychanalystes français (2) ». Dans une lettre de juillet 1940, elle raconte qu’elle « aimerait assez s’occuper d’éducation, puisqu’enfin, elle va être dirigée dans une voie qui paraît pleine de promesses » et salue « le redressement de la France dans la...