Kévin Boucaud-Victoire : « On ne combattra pas le racisme en parlant de races »
À gauche, la guerre de l’antiracisme bat son plein depuis deux décennies. À l’antiracisme libéral de « Touche pas à mon pote » répond désormais l’antiracisme « politique » des Décoloniaux. Deux positionnements, mais une même impasse ? C’est ce que soutient Kévin Boucaud-Victoire dans son dernier livre : Mon antiracisme, aux éditions Desclée de Brouwer.
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F.P. : Quelles sont les deux formes d’antiracisme qui dominent le paysage politique français ?
Kévin Boucaud-Victoire : Le principal clivage qui structure, à gauche, les débats sur l’antiracisme est né durant l’été 2016, avec l’organisation d’un « camp d’été décolonial », à, Reims par Sihame Assbague, ex-porte-parole du collectif « Stop le contrôle au faciès », et Fania Noël, militante de Mwasi, « collectif non mixte d’Africaines et Afro-descendantes ». Les organisatrices, qui se revendiquent d’un antiracisme « politique » attaquent ce qu’elles nomment « l’antiracisme moral », celui de SOS Racisme et ses épigones. Mais je conteste ces appellations.
SOS Racisme a un projet politique et son antiracisme ne se situe pas uniquement sur le plan « moral », comme l’affirme l’autoproclamé antiracisme « politique ». Pour faire simple, l’association satellite du PS des années 1980 entend lutter contre les discriminations, afin de mieux intégrer les minorités ethniques au capitalisme néolibéral, ce qui est clairement politique. C’est pour cela que je préfère parler d’« antiracisme libéral ».
L’antiracisme dit « politique » est, quant à lui, l’héritier de plusieurs mouvements universitaires américains : la pensée décoloniale – dont la principale figure en France est Houria Bouteldja, ancienne porte-parole du Parti des indigènes de la République (PIR) –, la théorie critique de la race et une partie des études postcoloniales. Jeune, dynamique, souvent porté par de jeunes militants ou universitaires issus de l’immigration avec du capital culturel, cet antiracisme possède au moins quatre caractéristiques. La première c’est de ne présenter le racisme que comme le résultat de l’organisation sociale, émanent du système ou des institutions. La deuxième est qu’il accorde aux « races », entendues au sens social et non au sens biologique, une place prépondérante dans la question sociale. Le troisième point est que cet antiracisme rejette toute forme d’universalisme, perçu comme un masque du racisme, oubliant que, malgré des dérives, c’est généralement en son nom que les luttes anticoloniales ont été menées. Enfin, la...