La démocratie à l'épreuve du marché
La démocratie est-elle soluble dans le marché ? C'est en tout cas le projet (à peine masqué) des penseurs néolibéraux depuis l'aube du XXe siècle. Là où le marché fait la loi, le politique recule. Et les peuples subissent.
Lorsque le prix de l’électricité s’envole en France en 2021, particuliers comme entreprises sont pris à la gorge. Ces augmentations, conséquence de la politique de libéralisation menée par l’Union européenne, ont beau aller à l’encontre des intérêts des citoyens français – avec son parc nucléaire, la France produit de l’électricité à coût constant – nos dirigeants les avalisent au nom du principe de la concurrence, inscrit dans l’airain des traités européens (1). Et lorsque les factures explosent et la colère gronde, le ministre de l’Économie multiplie des interventions publiques dans lesquelles il demande aux fournisseurs d’énergie d’aménager des ristournes. Le spectacle de l’humiliation et de l’auto-humiliation des dirigeants politiques devant les puissances économiques et financières est devenu une habitude (2). Les déclarations fatalistes succèdent aux explications techniques tendant à valider le célèbre « There is no alternative » de Margaret Thatcher. Et lorsqu’esbroufe il y a, elle est cantonnée à l’opposition ou au temps de la campagne électorale – on se souvient encore du « mon véritable adversaire, c’est le monde de la finance » de François Hollande. Alors que la domination du marché semble sans partage, la démocratie a-t-elle encore un sens ? Quelle marge d’action nos dirigeants élus gardent-ils face à la puissance du capitalisme mondialisé ? Et, pour commencer, comment en est-on arrivé là ?
La primauté historique du politique
L’économie n’a pas toujours tenu ce rôle prépondérant, tant s’en faut. Avant l’avènement de l’ère moderne, sa place dans la hiérarchie des sphères de la vie sociale était même précisément inverse. Ainsi, des trois ordres de l’Ancien Régime – oratores, bellatores, laboratores – c’est ce dernier, responsable de la fonction productive, qui est tout en bas de l’échelle symbolique. Quant au politique, émanation du militaire, il a partie liée avec le sacré, les deux ordres supérieurs exerçant le pouvoir de concert aux dépens du...