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La France et la religion

L’actualité ne cesse de mettre au premier plan les problèmes soulevés par la place de la religion dans la société. L’islam est tout particulièrement visé, dans la mesure où le terrorisme djihadiste s’est manifesté de façon très spectaculaire au cours des dernières années. La question de la compatibilité entre la Loi du Coran et les principes de la République se pose dès lors avec insistance. Quel rôle historique la religion a-t-elle joué dans la définition du « génie français » ? Et comment évolueront les tensions interculturelles qui divisent parfois nos concitoyens ? Nous en discutons avec le philosophe Rémi Brague.

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F.P. :

On dit de la France qu’elle est la fille aînée de l’Église. Notre pays est-il pour autant d’essence chrétienne, alors qu’il s’est fondé sur des inspirations culturelles extrêmement diverses : gréco-romaine, celte et germanique, parfois juive ou musulmane lors du Moyen Âge, résolument laïque à l’époque de la Révolution, etc. ? Quelle est l’identité de la France, si elle en a une ?

RÉMI BRAGUE :

Laissons de côté cette vanterie, avec les autres « coups de pub » de nos rois, lancés dans une rivalité mimétique avec l’Espagne à qui sera le plus catholique. Parler de l’« essence » d’une réalité historique et géographique est toujours difficile. Énumérer les différentes composantes de la culture française est un bon début. C’est bien de ne pas oublier les juifs et les musulmans (avant tout arabes). Mais encore faut-il effectuer trois opérations.

Il faut d’abord classer les ingrédients du pot-pourri français par ordre chronologique d’entrée en scène. Ainsi, les Juifs ont été là dès avant le Christ et bien avant le Moyen Âge, les Celtes depuis toujours, les Germains (et autres) après le IVe siècle, les Arabes seulement à partir du VIIIe siècle.

Il faut ensuite situer les activités : les Germains comme désireux de s’intégrer à la noblesse romaine, les Normands en quête de régions chaudes, les Juifs comme négociants, puis médecins, banquiers, etc. Les Arabes comme chasseurs d’esclaves, puis, à partir du XIIe siècle, par le truchement (c’est le cas de le dire) de traductions d’œuvres scientifiques et philosophiques, comme des partenaires d’un dialogue intellectuel.

L’inspiration laïque ? Vous voulez dire les Lumières, dès avant la Révolution, non ? Il est amusant que ce mouvement, né à Padoue, en Toscane, aux Pays-Bas, en Écosse, ait été de la part des plumitifs qui l’ont vulgarisé au XVIIIe siècle l’objet d’une O.P.A. tellement réussie qu’ils ont réussi à en faire quelque chose...