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Le capitalisme mondialisé est-il criminogène ?

ENTRETIEN. Le crime est-il un sous-produit de l’économie ? Et si la mondialisation n’avait été « heureuse » que pour le crime organisé ? Clotilde Champeyrache connaît bien la « face sombre » de l’économie mondialisée. Et il se pourrait que le discours économique libéral dominant, axé sur la toute-puissance du marché, banalise, voire favorise le développement des pratiques criminelles.

/2023/12/champeyrache


F.P. : Vous pointez du doigt les lacunes de la théorie économique dominante (l’école néoclassique) pour comprendre l’économie criminelle et ce que vous appelez la « face cachée » de l’économie. Quelle est cette approche dominante et que lui reprochez-vous ?

Clotilde Champeyrache : De façon générale, les économistes s’intéressent étonnamment très peu au crime. L’approche dominante en économie est portée par une croyance absolue dans les vertus du marché concurrentiel animé par des individus se livrant à des choix rationnels. C’est une vision qui surestime la capacité du marché à se prémunir contre le crime : le raisonnement est trop souvent dichotomique et ne conçoit pas ou peu qu’il y a de nombreuses interrelations – allant bien au-delà de la simple question du blanchiment de l’argent sale – entre sphères légale et illégale. Des agents de l’upperworld apportent leur soutien (conditionné parfois, mais aussi volontaire et complice) à des activités criminelles ou se livrent à des pratiques illégales dans le cadre de leurs activités légales – c’est la criminalité en col blanc. Par ailleurs, les criminels infiltrent l’économie légale, y compris en investissant dans des entreprises légales et déclarées.

Ces dimensions sont largement ignorées car elles ne rentrent pas dans le schéma de pensée de ces économistes. Par ailleurs, ces derniers mobilisent des modèles fondés sur l’individualisme méthodologique : ils étudient le comportement d’un individu représentatif rationnel et maximisateur d’utilité et en extrapolent le comportement de tous. La dimension collective propre aux organisations est donc pour le moins négligée. Gary Becker résume ainsi le choix de l’illégalité au fruit d’un calcul coûts-bénéfices défavorable au respect de la loi. Si un acte délinquant individuel peut éventuellement entrer dans cette logique (encore que…), le crime organisé ne peut être correctement analysé sans se pencher sur les avantages organisationnels de l’action collective criminelle. Cette pensée réduit également l’économie à la...

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