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Le « grand remplacement » entre mythe et réalité

Sujet tabou durant de nombreuses années, l’immigration est devenue un thème récurrent du débat public, au point de faire émerger deux récits politiques radicaux antagonistes : le « grand remplacement » et la « créolisation ». Fin observateur des courants d’idées et des mythes politiques, Pierre-André Taguieff éclaire ce débat incandescent avec un nuancier, loin des caricatures.

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F.P. : Vous dites dans votre livre que le « grand remplacement » est un mythe mobilisateur. Qu’entendez-vous par là ?

Pierre-André Taguieff : J’emploie le mot « mythe » au sens sorélien du terme. Dans ses Réflexions sur la violence (1906), Georges Sorel voyait dans les mythes modernes les expressions politico-morales d’un « état de guerre » au sein de la société. Les mythes sont, pour Sorel, des « moyens d’agir sur le présent ». Mais les mythes sociaux mobilisateurs, qui enveloppent des « images de batailles », peuvent être attractifs ou répulsifs. Le mythe de l’immigration comme méthode de salut, que j’ai baptisé naguère l’« immigrationnisme », est un mythe attractif. Le « grand remplacement », quant à lui, est un mythe répulsif. Mais l’un et l’autre sont fortement mobilisateurs et participent ainsi à la guerre sociale et culturelle.

Le mythe immigrationniste mobilise ceux qui perçoivent les identités nationales, avec leurs fondements culturels ou civilisationnels, comme des obstacles à éliminer à tout prix, et ce, au nom de la lutte contre le racisme. Ils ne voient dans les sentiments identitaires, sauf s’ils les attribuent à des minorités qu’ils sacralisent, que des crispations ou des paniques identitaires, pour employer leurs mots de passe. Leur projet est de mondialiser l’effacement des nations, qui seraient porteuses de nationalisme et donc, selon eux, de racisme. La dénationalisation des sociétés passe dès lors par leur transformation en sociétés multiculturelles, qui seraient non seulement ouvertes aux autres mais composées d’autres, ce qui présuppose l’abolition de la distinction entre nous et les autres, nous et les étrangers. Ce qui doit idéalement disparaître, c’est le « nous », c’est-à-dire à la fois le peuple et la nation, toujours incarnés par tel peuple et telle nation.

Mais avec le « nous » disparaît inévitablement le bien commun. Le « grand remplacement » est un mythe dans un autre sens : il constitue une interprétation fausse ou douteuse d’un certain nombre de...

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