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Le phénomène « woke » : anatomie d'une révolution culturelle

Le « wokisme » est un mot piégé. Utilisé dans le débat public comme une sorte d’épouvantail, on peine généralement à savoir ce qu’il recouvre concrètement. Nouvelle forme impérieuse du gauchisme ? Si l’on veut, mais c’est un peu court.

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Le mot « woke » renvoie à l’état d’esprit de celui qui est « éveillé » face aux problématiques d’inégalités et d’injustices liées aux minorités sociales, ethniques et sexuelles au sein d’une société donnée, originellement la société nord-américaine. Dans son article « Un mauvais vent venu d’outre-Atlantique », Armand Laferrère montre qu’il s’agit en réalité moins d’être « éveillé » que d’être « vigilant », terme qui conviendrait mieux en français qu’une traduction littérale : « Est woke celui qui voit, derrière les apparences trompeuses d’une société ouverte et de l’État de droit, des structures systémiques cachées qui perpétuent l’oppression et l’injustice raciale et sexuelle (1). » 


Généalogie historique d'une expression


Historiquement, le mot woke circule un peu après l’abolition de l’esclavage aux États-Unis (1865) pour décrire l’expérience des Noirs dans une société marquée par le racisme et la ségrégation. Alain Policar note : « Le lien entre la fin de l’esclavage et l’éveil, c’est-à-dire l’émancipation, est en effet ancien dans le dialecte afro-américain (2) ». En effet, l’idée d’un réveil des Noirs est présente dans un texte de Booker T. Washington : The Awakening of the Negro (1896). L’expression « being woke » s’est ensuite popularisée au sein de la population afro-américaine au cours du XXe siècle. D’abord en 1938, via le guitariste Leadbelly, dans un enregistrement sur l’histoire des Scottsboro Boys (une bande de Noirs accusés expéditivement de viol par un jury blanc), puis en 1943 dans un article de The Atlantic citant un syndicaliste noir appelant au combat contre l’exploitation économique. Dans un discours à l’université Oberlin (dans l’Ohio), en juin 1965, et dans le contexte précis du mouvement des droits civiques, Martin Luther King exhorte les étudiants à rester « éveillés » (« awake ») alors que les lois de ségrégation raciale viennent tout juste d’être abolies. On retrouve ici l’acception qui renvoie à la « vigilance ». Ces quelques occurrences permettent à Alain Policar de replacer (un peu artificiellement) le...

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