LA GAUCHE A UN PROBLÈME AVEC LA NATURE : VRAI

La nature est un concept piégé qui recèle beaucoup de fausses évidences et au sujet duquel les querelles philosophiques sont sans fin. Néanmoins, on peut schématiquement avancer que la gauche entretient une méfiance originelle à l’égard de l’idée de nature. La phrase célèbre de Rabaut Saint-Etienne selon laquelle « l’histoire n’est pas notre code » pourrait être le symbole de cette méfiance, progressivement transformée en refus. La gauche est historiquement le camp de ceux qui prétendent que les hommes ne sont pas déterminés par un « code » et peuvent construire un ordre autonome, indépendamment d’une nature dans laquelle la droite a longtemps vu un ordre implicite. Par exemple, au XVIIIe siècle, les premiers économistes (Quesnay, Gournay) sont appelés « physiocrates » – étymologiquement : le gouvernement de la nature – car ils voient l’économie comme un organisme biologique dont les lois sont naturelles.

La droite utilise traditionnellement « l’appel à la nature » pour légitimer un ordre social existant. Le sociologue Albert Hirschman note que l’argument de la « futilité du changement » est une constante de la pensée de droite (conservatrice)1. En somme, pour la droite, la nature fait bien les choses et bousculer « l’ordre naturel », c’est jouer avec le feu. Au XVIIIe siècle, Jean-Jacques Rousseau est l’un des premiers à rejeter l’argument de la naturalité pour promouvoir une vision historiciste : ce n’est ni Dieu ni la nature qui fait l’homme, mais l’homme qui fait l’homme par l’histoire. Et de démontrer que l’ordre social n’a rien de « naturel » : « Tout ce qu’ont fait les hommes, les hommes peuvent le détruire : il n’y a de caractères ineffaçables que ceux qu’imprime la nature, et la nature ne fait ni princes, ni riches, ni grands seigneurs (2) ». Rousseau rappelle ici que les inégalités sociales sont « construites » et qu’à ce titre, les hommes en sont...