L’hydre managériale ou la vie réifiée
Le management s'est infiltré partout, imposant sa vision du monde et ses outils, transformant petit à petit les institutions en organisations scientifiques. La vie humaine elle-même semble avoir été digérée par l'hydre managériale.
La marchandise n’est pas un bien ou un objet, en tout cas elle ne s’y réduit guère : c’est tout le génie de Marx d’avoir établi, avant toute chose, dès le premier chapitre de la première section du premier livre du Capital, qu’une valeur d’échange se superpose à la valeur d’usage pour opérer la transmutation du produit en marchandise (1).
Ainsi, parler de la marchandisation généralisée du monde revient à s’interroger sur l’échangisme intégral que promeut et développe le capitalisme, depuis sa première forme commerciale jusqu’à ses dernières mutations managériales et financières. Dans ce texte, nous nous pencherons moins sur les multiples manifestations de cette « extension du domaine du capital (2) » que sur ses conditions organisationnelles ; regardant par conséquent l’amont plutôt que l’aval, nous nous posons la question suivante, qui nous permettra d’articuler la marchandise capitaliste et le management scientifique : d’où provient la valeur d’échange ? Quelle en est la source ?
La valeur d’échange est une détermination quantitative que le consommateur perçoit naïvement sous la forme du prix. Cette assignation a pourtant une origine précise et indéniable : le travail et, plus exactement encore, le travail collectif. En d’autres termes, la substance commune à toutes les marchandises est l’activité de production. Leur évaluation dépend alors, en toute logique, de la quantité de travail nécessaire pour les produire. Mais si nous poursuivons notre régression vers l’origine, il convient de remarquer que cette quantité de travail s’apprécie en durée (jours, heures, minutes), c’est-à-dire selon un critère abstrait étranger à la réalité existentielle de l’activité. C’est la raison pour laquelle Marx qualifie de « travail abstrait » cette forme spécifique de travail qui mène à la création de la valeur d’échange ; et il appellera de surcroît « fétichisme de la marchandise » l’oubli des conditions concrètes de la production de la marchandise et la croyance en l’existence séparée de cette...