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Mai 68, deux visages contradictoires

Les événements de mai 68 constituèrent un moment emblématique de l’histoire française. Mais cet épisode haut en couleur n’en fut pas moins pétri d’ambiguïtés : révélateur des tensions sociales sous-jacentes dans le pays, il vit en définitive l’arrivée au premier plan d’une jeunesse bourgeoise et bohème qui allait bientôt conquérir le pouvoir et marquer son empreinte sur la société. Reste que ce printemps mémorable continue plus que jamais d’imprégner notre imaginaire national.

/2020/11/mai68


De prime abord, mai 68 ressemble au dieu Janus bifrons. Un visage regarde vers le passé, la Commune, juin 1936, la Libération, et l’autre est tourné vers un futur dont nous commençons à percevoir les traits, nettement moins engageants que ceux que nous imaginions en ces improbables semaines du printemps de 1968. Il est vrai qu’avec le temps, mai 68 a changé de visage. De révolution ouvrière avortée, « une répétition générale » selon Henri Weber et Daniel Bensaïd, il est devenu l’avènement de cette figure centrale du « bobo ». Même s’il n’était pas né en mai 68, le bobo est un « soixante-huitard attardé ». Contre les caricatures de ses adversaires et les hagiographies de ses « anciens combattants », devenus de vieilles badernes, il nous semble nécessaire de retrouver la figure complexe, ambiguë de ce puissant mouvement social en le resituant dans l’histoire longue de notre pays.

UN MOUVEMENT FRANÇAIS ET INTERNATIONAL ?

Le mouvement de mai 68 n’est pas français, mais international, dit-on souvent. Il entre en résonance avec les mouvements essentiellement étudiants qu’ont connus d’autres pays. Le Mexique, les États-Unis (avec les manifestations contre la guerre au Vietnam), l’Allemagne où les étudiants issus de la social-démocratie se muent en révolutionnaires sous la direction de Rudi Dutschke, mais aussi le « printemps de Prague » et surtout le « Sessantotto » italien : tous ces pays ont connu des mouvements étudiants importants. Voilà le récit traditionnel qui veut faire du « mai 68 français » l’élément d’un mouvement international de la jeunesse étudiante, promue au rang de « nouvelle avant-garde ». La quasi-contemporanéité des mouvements étudiants dans tous ces pays ferait figure de preuve.

Mais c’est réduire le mouvement à un mouvement étudiant : les jeunes instruits issus des classes moyennes se révoltent contre l’ordre établi ! Et, du même coup, l’on refoule ce qu’il y a eu de spécifique à deux pays, deux nations-sœurs, la...