Wokisme
Mai 68, révolution wokiste ? L’anachronisme serait risible. Néanmoins, on peut suggérer certaines lignes de force qui montrent que la pomme n’est pas tombée si loin de l’arbre.
Depuis quelques années, les termes de woke et de wokisme agitent le débat public français, comme celui de cancel culture d’ailleurs, que l’on s’en réclame au nom de luttes émancipatrices ou que l’on en prononce la sévère condamnation au nom de la déstabilisation des structures sociales. On rappelle souvent que ce mot anglais est issu du verbe to wake (sous sa forme passée : I woke), « réveiller », et qu’il signifie par conséquent « éveillé » ; mais avant de nous interroger sur la nature et l’objet de cet éveil, je voudrais rappeler à quel point le vocable est propre à l’histoire religieuse américaine (éventuellement anglo-saxonne) et que son utilisation politique depuis les années 1930 jusqu’à aujourd’hui ne peut être correctement comprise sans cet arrière-plan historique et anthropologique.
Le « Grand Réveil », traduction française de l’expression Great Awakening dans laquelle on retrouve évidemment le verbe to wake, désigne un mouvement religieux du XVIIIe siècle qui condamne la participation de la religion au pouvoir temporel et prône un retour à la foi, à la piété, le salut ne pouvant être assuré que par la seule grâce. C’est la raison pour laquelle la conversion doit être un acte personnel, un engagement individuel, qui se manifestent par la lecture de la Bible, les dévotions et les prières. La croyance s’exprime ainsi dans un registre largement émotionnel qui tranche d’une part avec l’importance des rites, chez les catholiques et les orthodoxes, et d’autre part avec le rôle cardinal de la raison, en particulier chez les protestants luthériens. Les deux caractéristiques des « réveils » américains successifs, y compris sous leur forme contemporaine sécularisée, sont ici présentes : l’individualisme d’une part, le sentimentalisme d’autre part. Le wokisme reprend le motif récurrent du Grand Réveil : le pouvoir temporel est par essence répressif, il n’existe pas de structure politique qui n’exerce une domination...